Ashot ou la famille recomposée

Aujourd'hui, Margarit, travailleur social pour MSF en Arménie, m'emmène rendre visite à Ashot, un patient atteint de tuberculose. Ashot habite dans un village proche de la frontière turque. Armen conduit vers l'ouest, nous laissons Yérévan derrière nous, et le mont Ararat domine le paysage.

Ashot partage sa maison avec son fils et sa famille mais Ashot et ses enfants ne s'entendent pas bien et il ne rentre chez lui que pour dormir. Il passe ses journées chez un voisin et c'est là que nous allons le rencontrer. Garush nous accueille et je vais bientôt découvrir qu'il est plus qu'un simple voisin pour Ashot. Garush ressemble à Charles Aznavour plus jeune, du moins tel que je m'en rappelle. Nous nous installons autour de la table, à l'ombre d'une pergola face au jardin. L'épouse de Garush, Alina, apporte du café, des pâtisseries et du chocolat. La journée est ensoleillée et les arbres fruitiers sont déjà en fleurs. Les oiseaux chantent.

Ashot est réservé et Garush entretient la conversation. Il nous raconte avec fierté que son fils de 15 ans, qui fait parti d'une organisation paramilitaire, vient juste de gagner une médaille lors d'une compétition de tir. Il a fini troisième sur trois milles participants. Alina va dans la maison et revient avec la veste d'uniforme de son fils pour nous montrer toutes ses médailles. L'armée est un élément essentiel en Arménie. Garush explique qu'il a fait son service militaire dans l'armée soviétique et combattu en Afghanistan. Il nous montre une photo de lui, jeune homme en débardeur blanc et aux muscles saillants, fusil mitrailleur dans les mains. Il s'exclame en riant: "Rambo!". Certaines références n'ont pas de frontière. Le ton de Garush change quand il nous raconte qu'Alina a perdu son frère qui combattait dans l'armée russe en Abkhazie, pendant la guerre contre la Géorgie dans les années 90. Cela me rappelle les ruines que j'ai vu là-bas. L'Arménie n'est pas en paix, ni avec son passé -le génocide hante toujours les esprits -, ni aujourd'hui - en conflit avec l’Azerbaïdjan voisin. Dans toute la région, l'histoire est une plaie béante qui ne semble pouvoir cicatriser.

Ashot s'ouvre petit à petit et je le questionne au sujet de sa canne. Il a fait une chute il y a un an et son genou cassé a été soigné. Il est tombé à nouveau il a deux mois et il a encore des points de suture vers le sommet du crâne. Il a fait une commotion cérébrale et a depuis des problèmes de mémoire. Je lui demande de me raconter son histoire et il répond en une phrase: "Mes parents son morts quand j'avais trois ans, ma femme est morte en 1996, j'ai deux filles, un fils et dix petits enfants". La famille est un sujet sensible que nous laissons de côté pour parler de la tuberculose.

Ashot a été diagnostiqué avec une tuberculose multi-résistante en 2015 et il a eu du mal à supporter le traitement au début. Le traitement médical de ce type de tuberculose est long (2 ans ou plus) et pénible. Il implique des injections quotidiennes d'antibiotiques. Ainsi, Garush conduit Ashot tous les jours au centre médical avec sa vieille Lada, et le remmène à la maison. Ashot décrit le dévouement de Garush avec une émotion contenue. Leur relation va bien au-delà de l'amitié.

Alina apporte l'un des lapins que le couple élève dans le jardin. 

Je me rend compte que je fais plus de photos de groupe que d'habitude, cette histoire n'est pas seulement celle d'Ashot. Il a perdu sa famille pour en trouver une autre, famille recomposée d'un autre type.

Je fait un dernier portrait d'Ashot et Garush. Le portrait de deux amis de toujours qui sont devenus frères.

Alors que nous quittons les lieux, Armen roule un peu plus loin sur le chemin pour faire demi-tour. Deux garçons jouent devant un portail. "C'est la maison d'Ashot et ses petits-fils" dit Margarit. La famille n'est pas qu'une question de gènes.


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