Femmes de Pankisi

Action Contre la Faim (ACF), une ONG française, m'a invité à les suivre sur le terrain dans la région reculée de Pankisi, au nord est de la Géorgie. Cette région agricole s'étend au pied de la chaîne du Nord Caucase.

Lela, qui s'occupe du projet d'assistance pour ACF dans la région me fait un résumé détaillé du contexte sur la route de Duisi, un gros village à l'entrée des gorges de Pankisi. Les Kists, une communauté musulmane d'origine tchéchène, se sont installés au Pankisi il y a deux siècles. Une autre vague de réfugiés tchéchènes, fuyant la guerre dans leur pays, est arrivée à la fin des années 90. Les Kists pratiquent traditionnellement le soufisme, qui est une branche mystique de l'islam considérée comme pacifique et apolitique. Cependant, ces dernières années, de nombreux jeunes vivant au Pankisi ont été attirés par le salafisme qui préconise une approche littérale, stricte et puritaine de l'islam. Cela cause des tensions au sein de la communauté locale et affecte la vie des habitants, tout spécialement des femmes.

Aujourd'hui nous visitons le Centre Educatif Communautaire de Duisi. Le Centre propose des activités de développement, principalement à destination de la population féminine. C'est un bâtiment blanc de deux étages datant de la période soviétique. Une vieille Lada est garée dans la cour, à l'ombre de grands arbres.

Nous rencontrons tout d'abord un groupe de jeunes femmes qui suivent un cours de cuisine. Aujourd'hui elles réalisent un gâteau au chocolat. L'ambiance est feutrée et sereine. On me dit que le gâteau sera notre dessert pour le déjeuner :)

L'affiliation au soufisme ou au salafisme se dénote dans les vêtements mais tout le monde s'entend très bien.

La pièce suivante est plus animée avec un groupe de garçons et filles faisant de la poterie.  Ils sont concentrés et appliqués à leurs taches, ce qui fait ressurgir en moi la sempiternelle question de l'influence de l'observateur, surtout quand il a un appareil photo. 

Au deuxième étage, des jeunes femmes apprennent la couture. La plupart d'entre elles ne souhaitent pas être prises en photo mais un miroir complice reflète un sourire timide par accident.

ACF entreprend un projet pilote dans la région. Ils ont mis en place deux groupes de vingt jeunes chacun, l'un de Duisi (musulman) et l'autre de la ville voisine d'Akhmeta (orthodoxe). Ils ont suivi des cours et travaillé ensembles pendant plusieurs mois sur les thèmes du développement personnel et professionnel. Le projet est un gros succès: les deux groupes ont fusionné harmonieusement et les jeunes sont enthousiastes lorsqu'ils décrivent l'énorme impact positif du programme sur leurs vies. Certains jeunes des deux communautés sont même en train de monter des projets professionnels ensembles.

Pendant la pause déjeuner (et oui le gâteau au chocolat était délicieux) je fais la connaissance de Lia, une coordinatrice du Centre Communautaire. Elle est curieuse de voir la photo que j'ai pris d'elle plus tôt.

Elle me raconte un peu son parcours, comment elle s'est enfuie de Tchéchénie avec son mari et son fils en 1999 et s'est installée en Pankisi. Lia me confie qu'elle est très heureuse en Géorgie et fière de son fils qui étudie à l'université de Tbilissi. J'en profite pour faire son portrait.

Le Centre propose aussi du soutien scolaire. La porte de la salle de classe est grande ouverte et j'observe la scène: des enfants souriants et leur enseignante qui travaillent dans une ambiance studieuse et détendue à la fois. Ce qui est accompli ici est bluffant... et ils ne m'ont pas vu arriver cette fois-ci.

Mais tout n'est pas rose dans la région et les tensions s'accroissent. En janvier dernier des inconnus ont tenté d'incendier le Centre Communautaire à cause des activités qu'il propose et des opportunités qu'il représente. Ce lieu est devenu de toute évidence un symbole pour tous, qu'ils soient pour ou contre, et la peur s'est immiscée dans le quotidien de chacun. 

Je flâne pendant que Lela est en réunion. L'atelier poterie est terminé et les enfants vont au robinet de la cour pour se laver les mains. La diversité de tons de peau et de couleurs des yeux rappelle le creuset incroyable qu'est le Caucase. Aussi loin que l'histoire remonte, des gens sont venus s'installer dans la région, en vagues innombrables en provenance d'Europe, de Perse, de Russie et d'Asie Centrale. J'imagine qu'une jeune musulmane blonde avec des taches de rousseur est un symbole de choix à l'encontre des stéréotypes religieux.

Je m'aventure un peu plus loin et observe l'activité dans la rue. Je vois surtout des jeunes filles et des femmes, les garçons et les hommes sont bien moins nombreux autour du Centre.

Un vieil homme passe cependant. Il me lance un grand sourire une seconde après que j'ai pris la photo.

Je regarde les piétons passer devant le Centre et ça ressemble un peu à un défile de mode en plein air avec différents style, du décontracté ...

… en passant au plus formel …

… jusqu'au très classique.

Je fais la connaissance de Dagmar dans la cour. Elle attend ses amies et nous entamons la conversation. Dagmar vient de finir le lycée et se prépare pour un examen national d'entrée à l'université. Elle veut devenir professeur d'anglais. Je marche un peu sur des œufs comme tout le monde ne souhaite pas être pris en photo mais je demande à Dagmar et elle me laisse faire son portrait.

Les amies de Dagmar arrivent peu après et il est clair que les photos ne sont pas un problème en les voyant faire de nombreux selfies.

Lela a terminé ses réunions. Un femme nous fait un signe d'au revoir alors que nous quittons les lieux et j'espère que la grille qui se dresse devant elle n'est rien de plus qu'un cliché, pas le signe prémonitoire de l'avenir des femmes de Pankisi.

Le site web d'Action Contre la Faim

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