Yerevan - Adieu Armen

Aujourd'hui, Margarit, travailleur social pour MSF en Arménie, m'emmène rendre visite à Arsen, qui est traité pour une tuberculose multi-résistante. Arsen habite dans une maison en banlieue de Yerevan avec sa mère de 80 ans, et la famille de son frère. Il a sa propre chambre au rez-de-chaussée, près de l'entrée, et à l'écart du reste de la famille pour éviter toute contagion supplémentaire. Il est confortablement installé mais sa chambre et froide et impersonnelle: aucun cadre, aucune icône sur les murs, rien sur la table de salon hormis des boites de médicaments. Cela donne l'impression qu'Arsen n'est que de passage, pas vraiment à la maison.

Margarit et moi portons un masque qui  me met mal à l'aise. J'ai l'impression d'une barrière entre nous et ma respiration dépose de la buée sur le viseur de mon appareil photo. Margarit a l'habitude et discute cordialement avec Arsen.

Arsen a attrapé la tuberculose il y a trois ans en Russie où il vivait depuis l'age de quinze ans. Les gens ont toujours été très mobiles dans la région et s'installent souvent dans les pays voisins, pour un temps ou pour de bon. C'était très courant pendant l'ère soviétique et c'est toujours vrai aujourd'hui. Arsen était déjà traité contre le diabète lorsque les docteurs ont diagnostiqué la tuberculose. Il est revenu à Yerevan il y a un an et a démarré avec MSF un nouveau traitement contre les tuberculoses multi-résistantes en septembre dernier. Ce traitement est lourd et contraignant mais au moins Arsen à la chance d'être traité à la maison par une infirmière qui lui fait ses injections deux fois par jour. C'est un vrai luxe comparé à la plupart des patients qui doivent se rendre au centre médical.

Arsen a eu une attaque cérébrale il y a quelques mois. Elle l'a laissé paralysé du côté gauche. Il marche difficilement avec des béquilles et passe ses journées à se reposer sur son lit.

Le moral d'Arsen n'est pas bon et il supporte difficilement le traitement médical qu'il a dû interrompre à plusieurs reprises depuis septembre. On lui a dit qu'il pourrait être mieux traité en Allemagne et il interroge Margarit à ce sujet. Elle lui explique qu'il reçoit le traitement médical le plus avancé avec MSF, ici en Arménie. En plus là-bas il se retrouverait seul alors qu'à Yerevan sa famille prend soin de lui. Arsen semble désabusé et un peu perdu. Il a toutes les raisons de l'être: au diabète incurable s'ajoutent une tuberculose multi-résistante et les séquelles d'une attaque cérébrale qui l'a sérieusement diminué.

Arsen est perplexe et un peu amusé par l'objet de ma visite. Il se demande pourquoi je souhaite discuter avec lui et faire son portrait. Je lui parle de mon projet sur l'estime de soi. Arsen ne pense pas être photogénique mais il se prête au rôle de modèle.

Arsen s'aperçoit que j'ai du mal avec le masque et nous invite gentiment à sortir. Les quelques pas entre sa chambre et l'extétieur représentent une véritable épreuve pour lui et il est soulagé d'atteindre enfin une chaise. Nous fumons une cigarette devant la porte d'entrée.

La belle-sœur d'Arsen arrive du marché. Elle n'est pas contente de le trouver en train de fumer. Je me sens un peu piteux, à fumer avec un tuberculeux, mais Arsen l'amadoue avec humour en lui proposant de faire une photo ensemble. Elle dépose ses sacs et je fais leur portrait avant que nous partions.

Je n'avais pas initialement prévu de raconter cette rencontre avec Arsen, à sa demande, mais Margarit m'a envoyé des nouvelles il y a quelques jours. Arsen est tombé dans sa chambre et s'est cassé la jambe. L'opération s'est bien déroulée mais il a fait une crise cardiaque juste après. Arsen est mort, il avait 47 ans. "Un coup de malchance" comme l'a écrit Margarit. Arsen n'a pas vu ses photos mais Margarit les a données à sa mère.

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